Pensée Sauvage #5

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December 2020

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Pensée Sauvage #5

Ce qu’on dit et ce qu’on fait

71% des Français se disent favorables au Green Friday mais seulement 23% le soutiendront en s’abstenant de participer au Black Friday (1). Cherchez l’erreur.


Pandémie oblige, on avait beaucoup scruté ce que les Français attendaient, ce qu’ils disaient vouloir changer dans leur vie et notamment dans leur consommation. On se souvient qu’il en ressortait un besoin de sens, de consommer moins mais mieux, plus responsable, avec de grosses attentes envers des marques plus engagées. Il a suffi d’un premier déconfinement pour commencer à mesurer l’écart entre ces nobles déclarations et certains comportements.


Un confinement plus tard, on observe un gap croissant entre intentions et actions. Loin de l’arrêt brutal de consommation observé lors du premier lockdown, cette fois-ci la vente continue, à minima pour les commerces dits essentiels et notamment pour l’e-commerce. Les sites marchands ont d’ailleurs cette fois-ci connu une explosion immédiate de leur taux de conversion (+131%) (2). D’après une étude Mc Kinsey, le Black Friday serait même devenu l’événement commercial le plus important de l’année et 85% des Français pensent à cette occasion dépenser plus que l’année dernière, malgré leurs contraintes budgétaires. L’enjeu est tel que Bruno Lemaire a appelé à en repousser la date, histoire de n’exclure personne de la capture de ce nouvel or noir.


Autre exemple de décalage, BioCoop, Carrefour et Danone sont les marques jugées les plus « contributing » (3). Mais les marques préférées des Françaises sont Samsung, Amazon, Yves Rocher, L’Oréal et Apple, et surtout, les marques au positionnement RSE ou bio marqué ne représentent que 4% des 324 marques citées (4). Un autre sondage centré sur les millenials positionne Netflix, McDo et Apple sur le podium. Et Facebook et Amazon figurent au top 10 de leur palmarès (5). Alors, GAFA partout, RSE nulle part ?

Amazon semble d’ailleurs être celui qu’on adore détester, mais dont on ne saurait se passer. Divers mouvements appellent au boycott de cet acteur pour son manque de transparence et de civisme fiscal, sa politique sociale et sa situation de « riche de guerre » en période de confinement. Ses initiatives de soutien au made in France et aux commerces de proximité n’ont pas forcément convaincu. Et pourtant le bond de son chiffre d’affaires lors de la première semaine de reconfinement paraît révéler un double-discours de consommateurs devenus zinzins.


Mais alors, la recherche du monde d’après était du temps perdu ? La grande rédemption n’aurait été qu’un MacGuffin, selon le nom utilisé par Alfred Hitchcock pour désigner un objet dont seule la récupération compte et dont le rôle principal consiste moins à créer de la vraisemblance qu’à procurer au récit sa force dramatique ? Ces décalages entre attitudes et comportement signifient-ils le retour des mauvaises habitudes contre les bonnes intentions ? Ou alors l’impossibilité de mettre en pratique ses valeurs pour des raisons liées à une perte de pouvoir d’achat, à la fermeture (parfois définitive) des commerces de proximité ou à l’inaccessibilité des offres bio et éthiques ?


Sans doute fait-on encore erreur en cherchant à rationaliser absolument les comportements. Ce serait oublier le phénomène des dissonances cognitives, décrit par Léon Festinger dès 1957 comme une tension interne au système de pensées, croyances, émotions et attitudes d’une personne lorsque celles-ci entrent en contradiction. La personne est alors conduite à développer des stratégies inconscientes pour les soulager, passant par la rationalisation ou à l’inverse par une minimisation, voire un oubli des éléments dissonants. Ou encore par un changement de comportements ou d’attitudes, sachant qu’il est en général plus difficile de changer ses idées anciennes que d’adopter de nouvelles valeurs.


Ayons aussi en tête que les décisions d’achat relèvent moins de la logique pure que d’un intime mélange de rationalité et d’impulsion, dont les paradoxes sont accrus en période de crise, comme l’explique Olivier Sibony, spécialiste des biais cognitifs (6). Les distorsions psychologiques affectant jugements et opinions sont multiples, pouvant conduire à un excès d’optimisme, à des biais liés à la conviction d’être différent, ou encore au fait d’imiter la pensée de groupe par culpabilité ou souci du regard des autres.


D’autant qu’il n’existe pas un consommateur mais une diversité d’âge et de profils socio-culturels, aux situations professionnelles variées, qui ont chacun à gérer leurs propres tensions entre leurs envies et leurs peurs, leurs plaisirs et leurs devoirs, la fin du monde et la fin du mois. Autant d’injonctions auxquelles s’ajoutent celles qu’on leur impose en temps de pandémie. A coup de fais pas ci, fais pas ça, on finirait par stimuler leur côté tête de mule, tête de bois.


C’est là que les marques ont un rôle à jouer dans lequel elles-mêmes devront être vigilantes à leurs propres biais cognitifs. Car là aussi on observe des décalages entre discours et actes. Mais le greenwashing passera de moins en moins et on voit poindre une ironie envers le marketing de Panurge puisque 83% des Français disent que tous les discours RSE se ressemblent (7). L’enjeu des marques est de proposer de nouvelles façons de consommer qui permettent de soulager les tensions des consommateurs, à travers des offres responsables, accessibles et désirables, et en s’engageant concrètement dans la durée. Car nous prenons le pari que réduire à des signaux faibles et anecdotiques les aspirations qu’on avait cru entendre à un modèle plus vertueux serait une erreur. Les consommateurs veulent le beurre et l’argent du beurre, c’est légitime. Aux marques de trouver des solutions. C’est en tout cas l’occasion de se démarquer en réussissant à proposer des modèles innovants agréables à adopter.


D’ailleurs les gens en ont marre qu’on leur parle du monde d’après, ils préfèrent aujourd’hui qu’on leur parle de monde positif. Autrement dit, le sourire de la crémière. A l’approche des fêtes de fin d’année, 33% aspirent à de la normalité de la part des annonceurs, 31% attendent des marques des messages positifs. Quant aux 18–24 ans, ils sont 59% à attendre des annonceurs des messages inédits et innovants (8). Benjamin Soubeille, directeur marketing de Verizon Media, interprète ces changements comme un souhait de consommer de manière responsable avec des messages moins axés sur la lutte contre l’épidémie ou la crise économique et que les marques “jouent leur rôle d’innovation, de créativité, bref qu’elles leur permettent de se changer les idées face à un discours anxiogène perçu comme parfois confus et surtout lassant.” En tant qu’agence, cet insight nous réjouit évidemment. Mais attention, pas dans le sens d’un retour au pays des Bisounours. Le sourire ne remplace ni le beurre, ni l’argent du beurre. C’est le plus produit.


Sources
(1) Sondage YouGov 28–29 octobre 2020
Green Friday : mouvement de sensibilisation à la consommation responsable soutenu par 400 associations et entreprises né en France en 2017
(2) In FashionNetwork.com18/11/2020
(3) Baromètre « contributing » Agence W + CSA 16–17 mai 2020
(4) Sondage Insightquest + Forbes in forbes.fr14 octobre 2020
(5) YouGovBrandIndex 01/09/20–31/08/20
(6) Olivier Sibony, consultant et professeur à HEC, Vous allez commettre une terrible erreur, Clef des Champs
(7) Gilles Fraysse in Les Echos.fr+ sondage Havas Paris/Observatoire des marques dans la Cité (2019)
(8) Verizon Media/YouGov Consumer Study, septembre/octobre 2020

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